François André Allaert
Dans le règlement européen 1924/2006 et notamment dans son premier considérant, l’évaluation des allégations de santé (AH) par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a été introduite afin « d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur, [et] de lui fournir les informations nécessaires pour faire des choix en toute connaissance de cause ». Aujourd’hui, avec 10 ans de recul depuis l’adoption du règlement, on peut se demander si le processus d’évaluation AH de l’EFSA qui a conduit à un nombre marginal d’allégations acceptées est cohérent avec cet objectif, non seulement de protéger les consommateurs mais aussi de leur permettre de prendre une décision librement et de faire des choix éclairés.
L'objectif de cet article est de démontrer que l'inclusion d'un classement du poids de la preuve dans l'évaluation de la justification scientifique de la HC par l'EFSA permettrait aux consommateurs de bénéficier du très haut niveau d'évaluation scientifique réalisée par l'EFSA.
La position actuelle de l’EFSA est d’autoriser les allégations de santé uniquement pour les produits qui présentent un poids de preuve étayé de leurs bénéfices pour la santé – un niveau comparable à celui requis pour les médicaments. Cette approche conduit en effet à un niveau élevé, voire maximal, de protection du consommateur . Mais cette position maximaliste, très proche du principe d’autorisation de mise sur le marché des médicaments, est-elle cohérente avec l’idée du règlement européen sur l’information du consommateur ? Cela est discutable, car les allégations telles qu’elles sont actuellement attribuées fournissent aux consommateurs des informations uniquement sur les produits pour lesquels les bénéfices ont été justifiés selon les normes pharmaceutiques. Cela serait acceptable si tous les bénéfices que peuvent apporter les compléments alimentaires et les aliments enrichis pouvaient être justifiés par de tels critères. Comme nous le verrons dans la section suivante, cependant, ce n’est pas toujours le cas, comme pour de nombreux produits et services de santé. Mais pourquoi les consommateurs devraient-ils être privés de toutes les connaissances scientifiques généralement acceptées disponibles , issues de recherches universitaires et industrielles ? Cela est-il compatible avec le principe du consommateur « informé » disposé à faire ses propres choix ? De plus, cette position très dualiste sur les allégations de santé (approuvées/non approuvées) n’induit-elle pas en erreur le consommateur en lui refusant la possibilité de différencier, parmi tous les produits qui ne sont pas autorisés à porter des allégations de santé, mais qui sont proposés , entre les produits pour lesquels il existe des preuves solides et les produits pour lesquels tout n’est que pure fiction mais qui sont toujours promus sur des sites internet non réglementés, malheureusement, malgré la réglementation européenne existante ? Il est à craindre que l'absence d'information résultant de l'évaluation « tout noir oral » blanc de l'EFSA ne conduise à une mauvaise information voire à une désinformation des consommateurs (consultation de sites internet erronés, mauvaise application de certains messages de santé, etc.). Le système actuel, dans lequel une immense majorité de produits ne portent finalement pas la revendication méritée, fait que les consommateurs continuent à se passer de conseils sur des produits proposés sans allégations, alors que certains de ces produits ont de solides arguments en faveur de leur utilisation et d'autres ne peuvent s'appuyer sur aucun argument du tout. En étendant la gamme des produits portant des allégations autorisées, dont le niveau serait gradué par le poids de la preuve, les consommateurs seraient mieux informés et en mesure d'exercer leur droit à l'information.Les fabricants de médicaments devraient pouvoir se faire leur propre opinion en toute connaissance de cause. Cela leur permettrait de faire des choix éclairés, notamment dans les domaines où aucune allégation formelle n'est actuellement disponible. C'est vers ce type de solution que se tourne depuis des années la Food and Drug Administration des États-Unis , sous l'effet des contraintes d'un procès avec un fabricant. Il n'est peut-être pas nécessaire d'attendre si longtemps pour modifier la notion d'allégations de santé en Europe.
Les « limites » des « essais cliniques » randomisés » dans le cadre de l'évaluation nutritionnelle
Critères de sélection
La véritable population cible est souvent une population en malaise ou présentant un facteur de risque de maladie mais pas la population entière. La notion de population saine doit changer un minimum dans ce que l'on entend par le terme « saine ». Or, pour démontrer l'existence d'un bénéfice clinique, il faut qu'un inconfort soit effectivement présent et/ou qu'un paramètre biologique soit effectivement perturbé soit par déficit, soit par excès. Tout dépend alors de la définition et de l'évaluation qui sépare les états physiologique et pathologique. Des limites ont été fixées pour de nombreux facteurs de risque métaboliques comme le niveau des paramètres glycémiques ou lipidiques, mais elles sont quelque peu artificielles et l'on sait que la progression du risque avec les facteurs biologiques est un continuum. Or, pour pouvoir montrer une différence d'effet d'un produit versus un placebo ou une matrice identique sans l'ingrédient ajouté, il faut qu'un inconfort suffisamment intense soit présent ou qu'un paramètre biologique dispose d'une marge d'amélioration potentielle suffisamment importante. C'est là une des grandes difficultés de la démonstration de l'efficacité des compléments alimentaires ou des aliments enrichis. Les marges d'amélioration sont assez étroites, ce qui rend l'amélioration difficile à démontrer et nécessite des effectifs très importants dans chaque groupe. Ces critères de sélection posent également la question de la population considérée et de nombreuses demandes sont rejetées au motif que la population de l'essai ne correspond pas à la population générale, notamment dans le domaine de la gêne articulaire. Ne faut-il pas considérer que par définition, l'essai clinique est une situation expérimentale qui ne correspond pas à une situation de vie courante, notamment en raison d'autres critères d'inclusion et d'exclusion qui sont utilisés pour limiter les risques ou éviter toute interférence avec les paramètres étudiés, et donc un modèle conçu pour démontrer l'efficacité.
C’est souvent seulement dans les études observationnelles que le bénéfice santé apporté en pratique courante peut être véritablement observé. Une piste de réflexion pourrait consister à accepter la preuve expérimentale et à l’associer à l’émission d’une allégation, éventuellement de grade « B », en la faisant coïncider avec la nécessité de fournir des données en pratique courante dans le cadre d’une réévaluation de l’allégation. Cette situation est désormais courante dans le domaine des dispositifs médicaux et des médicaments où pratiquement toute autorisation de mise sur le marché ou toute inscription sur la liste des produits remboursés par l’assurance maladie implique une obligation de fournir des preuves concrètes des bénéfices. On pourrait aussi imaginer qu’à la démonstration de l’effet par au moins deux études cliniques, on préfère une étude clinique et une étude observationnelle sur une large population. Cette position ne serait probablement pas aussi solide en termes purement statistiques pour le risque alpha mais permettrait une évaluation plus concrète du produit en donnant d’emblée des indications sur des dimensions que l’essai clinique ne peut pas évaluer en raison de son caractère contrôlé. Ces éléments seront développés dans les sous-sections suivantes.
La définition des standards de preuve est une pratique généralisée et repose sur le principe selon lequel les évaluations des pratiques de santé doivent être comprises en termes de descriptions allant de la preuve formelle issue d’études de forte puissance contrôlées en double aveugle contre placebo à des classements basés sur des avis consensuels d’experts voire d’accords entre professionnels. La gradation du poids de la preuve – et non de l’expertise scientifique – est omniprésente dans toutes les recommandations ou réunions de consensus des autorités de santé ou des sociétés savantes. Cette approche stimulerait la recherche et l’innovation produit car les industriels y verraient un retour sur investissement positif. Le passage d’un système de tout ou rien d’allégations de santé à un système de notation par poids de la preuve constituerait une alternative au système actuel. Cette approche serait plus cohérente avec la logique du règlement européen qui vise à la fois à fournir aux consommateurs la meilleure information possible en leur donnant la possibilité d’exercer leur libre arbitre en toute connaissance de cause et à promouvoir des recherches répondant à des fondements scientifiques et médicaux solides sur lesquels ces informations s’appuient.
Note : Ce travail est en partie présenté lors de la 11e Conférence européenne sur la nutrition et la diététique, qui s'est tenue du 29 au 30 juin 2017 à Madrid, en Espagne.